Chaïbia Talal Chtouka, 1929-2004

Biographie

L'arrivée de Chaïbia dans le monde de l'art est chargée de légende. Plusieurs signes auraient prédestiné la jeune femme. Une femme sourde et muette lui apprend, dans une zaouia - un sanctuaire musulman - qu'elle a un talent caché. Une nuit, Chaïbia rêve que des voix lui enjoignent de prendre toile et pinceaux. Le jour suivant, encouragé par son fils artiste, elle commence à peindre, avec les doigts, sur du carton et du bois. Mariée à 13 ans, Chaïbia est veuve à 15 ans, et mère d'un enfant. Pour gagner sa vie, elle nettoie la laine. Elle n'est jamais allée à l'école et demeure toute sa vie analphabète. Son fils a un atelier de peinture. Un jour, le peintre Ahmed Cherkaoui (1934-1967) visite l'atelier en compagnie du conservateur et critique Pierre Gaudibert : ils découvrent les toiles de Chaïbia. Gaudibert encourage alors Chaïbia à exposer. En 1966, ses œuvres sont montrées avec succès au Goethe Institut de Casablanca. Elle participe dès lors à d'importantes expositions d'art brut. Certains soulignent la proximité de ses peintures avec les œuvres du groupe Cobra, et on rapporte qu'un jour Guillaume Cornelis van Beverloo se serait mis à genoux devant ses toiles… Au Maroc, cependant, la réception de l'œuvre de Chaïbia est longtemps plus mitigée. Dans les années 1960, les tenants des mouvements artistiques marocains - essentiellement des hommes - rejettent sa peinture, qu'ils accusent de contribuer à l'image d'un sous-développement du Maroc.

 

Peintre autodidacte, coloriste intrépide, Chaïbia réalise une œuvre qui peut être qualifiée de spontanée, naïve, sensorielle. Elle peint en plein air, souvent sur de très grandes toiles, à la gouache et à l'encre de Chine. Elle utilise les couleurs sans les mélanger, à la sortie du tube, et ce chromatisme importe le plus à son art. Appliquées sur la toile, souvent sous forme de grands aplats cernés de noir, les teintes sont à la fois virulentes et affectives. Leur disposition intuitive recrée l'univers dans lequel la peintre est venue au monde : la campagne marocaine. Chaïbia en représente les protagonistes traditionnels, dans autant de portraits : la mariée, le conteur, la danseuse, la jeune fille de Casablanca, dans autant. La Femme berbère (collection privée), une de ses toutes premières toiles, est peut-être un autoportrait : on y voit une femme apeurée, les yeux fermés, mais qui semble sur le point de s'exprimer et alors - à en croire le faste des couleurs - à exprimer un imaginaire très vif. L'humour constitue aussi une part importante de ses œuvres. Le goût de la fête, comme celle des fantasias, revient de façon récurrente.

Lamia Balafrej                                                                                                                             

Extrait du Dictionnaire universel des créatrices

© Éditions des femmes - Antoinette Fouque, 2013

© Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, 2019

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