La galerie lilia ben salah est heureuse de présenter « Lumière d'or », une exposition personnelle de l'artiste Mahjoub Ben Bella (Maghnia, 1946 - Lille, 2020), du 3 avril au 18 mai 2024.
Composée d'une sélection importante de peintures, dont beaucoup n'ont jamais été montrées auparavant, cette exposition couvre la période la plus récente de cet artiste à l'activité artistique ininterrompue jusqu'à sa mort en 2020.
Mahjoub Ben Bella est un artiste à l'œuvre multiforme qui réalisa aussi bien des peintures sur toile, papier, bois que des happenings et des œuvres monumentales dans l'espace public. Il appartient à ce que l'on nomme l'expressionnisme abstrait ou l'abstraction lyrique, un courant apparu dans la seconde moitié́ du vingtième siècle.
Cette première exposition de l'artiste franco-algérien à la galerie nous donne à voir une série de peintures emblématiques de ses recherches picturales, questionnant les relations entre signes et abstraction.
Né en 1946 en Algérie, il fut formé à l'École des Beaux-Arts d'Oran. De 1965 à 1970, il poursuivit ses études en France à l'École des Beaux-Arts de Tourcoing dirigée par Claude Vicente qui fut son directeur aux Beaux-Arts d'Oran. De 1970 à 1975 il approfondit sa formation à l'École Nationale des Arts Décoratifs de Paris et s'installa définitivement à Tourcoing en 1975 où il prit une part active à la scène artistique régionale et internationale. Les anciennes écuries de la banque Joire abriteront son atelier durant les 20 dernières années de sa vie.
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Mahjoub Ben Bella, Danse, 2017
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Mahjoub Ben Bella, Lumière d'or, 2016
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Mahjoub Ben Bella, Message, 2006
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Mahjoub Ben Bella, Arabesques bleues, 2016
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Mahjoub Ben Bella, Diaphane, 2012
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Mahjoub Ben Bella, Tondo rouge, 2009
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Mahjoub Ben Bella, Tablette blanche, 2015
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Mahjoub Ben Bella, Relief rose et ocre, 2016
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Mahjoud Ben Bella, under the sign, the painting
Dr. Céline Berchiche, modern and contemporary art historian | historienne de l'art moderne et contemporainMahjoub Ben Bella, sous le signe, la peinture
En 1951, le critique d'art Michel Tapié dans l'exposition « Véhémences confrontées » regroupa des peintres appartenant à ce que l'on nomme l'expressionnisme abstrait ou l'abstraction lyrique, un courant apparu dans la seconde moitié du vingtième siècle, des deux côtés de l'Atlantique. Beaucoup des peintres réunis par Michel Tapié dans cette exposition puis, un an plus tard dans son essai, D'un art autre ont interrogé les rapports entre écriture et peinture. Parmi ces peintres, certains comme Mark Tobey, Jean-Paul Riopelle, Henri Michaux, Jean Dubuffet, ou Georges Mathieu ont puisé dans les cultures et écritures de l'orient et de l'extrême orient, des ressources graphiques pour enrichir leur rapport à l'espace du tableau.
Il ne fait aucun doute que Mahjoub Ben Bella appartient à cette famille de peintres. Il s'est nourri aux mêmes sources car ces signes sont d'une grande puissance graphique et sont capables à eux-seuls d'animer la surface d'une toile.
C'est pourquoi une analyse trop rapide de la peinture de Mahjoub Ben Bella pourrait associer son œuvre à la calligraphie arabe de manière trop systématique car, s'il est vrai que l'artiste a une double culture, il fut tout autant influencé par celle-ci que par les cultures de peuples primitifs mais aussi par les grands maîtres qui furent chez lui Van Gogh, Matisse, Picasso mais aussi Delacroix, Manet et bien d'autres car il connaissait parfaitement son histoire de l'art. De plus chez lui, pas d'aniconisme lié à quelques interdits religieux car son langage est directement abstrait. Enfant déjà il aimait le graphisme des lettres sans en connaitre le sens et c'est ainsi qu'il a toujours envisagé la calligraphie : pour ses qualités plastiques, c'est pourquoi il réfutait le terme d'écriture auquel il préférait celui de signe.
Ainsi les tableaux de Ben Bella méritent un regard nouveau car ils peuvent se regarder à l'aune de la stricte peinture abstraite et de son histoire et non de l'écriture car c'est par ce prisme que nous découvrons sa richesse d'invention. Par ce nouveau paradigme, celui de l'histoire de l'art, les signes graphiques prennent une autre valeur : ils sont là pour insuffler de la vie au tableau, créer du rythme, des respirations, jouer sur les transparences, introduire des variations et des modulations dans un processus all over.
Le graphisme nerveux, le signe gestuel chez Ben Bella sous-tend donc à la peinture en elle-même c'est-à-dire au travail maitrisé des couleurs et de la composition et il est heureux que la galerie lilia ben salah, par cette exposition, présente un large panel de ce que fut la création pour cet artiste qui s'inscrit pleinement dans l'histoire de l'art abstrait.
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Mahjoub Ben Bella : toujours magique le signe est plus fort que les bombes
Morad Montazami, directeur of Zamân Books & CuratingAutant algérien que français, Mahjoub Ben Bella s'exile en France dès 1965, année où son illustre oncle, Ahmed Ben Bella, premier président de l'Algérie libre et héros de la guerre d'indépendance, est renversé par un coup d'État. Cette filiation politique qui ne transpire guère dans les œuvres de l'artiste Ben Bella et ne doit pas influencer notre regard sur celles-ci, reste néanmoins fondatrice pour comprendre sa trajectoire, son inscription géographique et historique - un certain déracinement. Car le fait de devoir faire sa vie en « métropole », alors même que sa terre natale vient d'être libérée de plus d'un siècle de colonisation, n'a rien d'anodin.
En effet Ben Bella est passé par l'école des beaux-arts d'Oran, en Algérie, avant de prolonger sa formation dans les écoles d'art françaises et d'abord parisiennes ; avant de s'installer dans le nord de la France. Début des années 1970, il passe par l'école nationale supérieure des arts décoratifs qui accueille des artistes algériens, libanais, syriens... Samta Benyahia, Nadia Saikali, Abdulkader Arnaout s'y forment à la même époque que Ben Bella, qui, entre autres innovations, y réalisera des tableaux cloutés ; un geste ludique et provocateur, une volonté d'augmenter l'œuvre d'art d'un « attirail » industriel et urbain[1].
Toujours dans les années 1970, Ben Bella passe également par l'école nationale supérieure des beaux-arts de Paris. A peine une décennie plus tôt, deux compatriotes importants s'y forment également : Denis Martinez et Choukri Mesli qui, eux, rentreront à Alger après l'épisode parisien, pour former le groupe Aouchem (« tatouage ») ; l'avant-garde de l'école du signe algérienne avec laquelle Ben Bella entretient un dialogue presque inconscient[2].
Si la conception du signe (préhistorique, amazigh, africain) cultivée par le groupe Aouchem se veut plus anti-impérialiste que celle de Ben Bella, moins identitaire et plus émancipée, elles n'en reflètent pas moins la conviction commune que « toujours magique, le signe est plus fort que les bombes[3] » (une école du signe antimilitariste qui se traduira chez Ben Bella par une œuvre murale en hommage à Nelson Mandela et autres combattants de la liberté). Cette conception magique du signe, qui ne délivre ni ses sources ni ses origines, démarque Ben Bella de nombreux néo-calligraphes qui, eux, s'ancrent littéralement dans l'écriture arabe (Hassan Massoudy, Hossein Zenderoudi…). Ben Bella, lui, opère un singulier déplacement de la simple graphie à l'hypergraphie[4], une tendance à la saturation de l'espace pictural où le signifiant se libère du signifié, le geste d'écriture du carcan de la langue, l'arabesque d'une grammaire ornementale. De ce point de vue, il se rapproche davantage des lettristes Isidore Isou et Maurice Lemaître, ou encore des dessins automatiques (réalisés sous mescaline) d'Henri Michaux, que de ses congénères irakiens ou iraniens[5].
La conception magique du signe - dépassement de la tradition calligraphique - prend la forme symptomale de la graphomanie. Comme si, pris d'une pulsion d'écriture irrépressible, le corps de l'artiste se changeait en machine à écrire ; une machine désubjectivante et déviante ; transgressant la frontière de la « belle écriture » (calligraphie), pour aller vers l'écriture dessinée, et enfin vers l'écriture émancipée (voire explosée).
Ben Bella nous en donne d'autres indices à travers la notion de « talisman », à laquelle plusieurs de ses œuvres se réfèrent explicitement. Que ce soit dans la tradition soufie ou islamique, celui-ci relève d'une pratique rituelle et magique mais également hypergraphique. Il condense à travers une grille invisible un tournoiement alchimique de chiffres, de lettres et de signes, sans début et sans fin.
Les œuvres-talismans de Ben Bella sont douées d'ubiquité dans la mesure où ils transportent le signe au-delà des limites du tableau (on perd ses repères haut, bas, gauche et droite). Elles constituent des dispositifs divinatoires ou des miroirs d'encre (très répandus en Algérie) : l'art de la prédiction consistant à verser de l'encre ou de l'huile dans le creux de la paume. Ainsi Ben Bella nous livre (ou pas) sa formule secrète, celle de la symétrie cachée entre lignes de la main, lignes de vie, lignes du temps.
[1]. Un tableau clouté de Ben Bella (Sans titre, c. 1970) est exposé dans Présences arabes. Art moderne et décolonisation. Paris 1908-1988, Musée d'art moderne de Paris, 5 avril-25 août 2024.
[2]. Ce n'est qu'en 2000, à Marseille, qu'il croisera la route de Martinez, lequel garde un souvenir ému de l'exposition Ben Bella au musée d'art moderne d'Alger (MAMA) en 2012, pour son retour au pays. Conversation de l'auteur avec Denis Martinez, février 2024.
[3]. Manifeste du groupe Aouchem, Alger, 1967.
[4]. Isidore Isou, Le Lettrisme et l'Hypergraphie dans la peinture et la sculpture contemporaines, Poésie Nouvelle, n°3, été 1961.
[5]. On a également parlé, à propos de Ben Bella, de « calligraffiti », dénotant son ancrage dans l'art mural et urbain, un terme qui fut utilisé par l'artiste Brion Gysin dans les années 1980 et plus récemment par le street artiste El Seed.
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Biographie